Quels sont les mots précieux en anglais?
Care delighted crispy tenderness ?
Bliss, willow, pier?
Maman, quels sont ceux de ta langue?
celle dont tu ne parles plus (ni comme sujet ni comme corps)
qu’avec les passant-e-s qui, en t’apostrophant
te rappellent que tu y as vécu?
Memory? Community?
Tu m’as toujours parlé en français
daughter of Jeannette and René
an improbable couple
a problematic relationship
J’ai appris que tu étais bilingue
but your English is static (lost?) motionless in time
J’ai appris que ta mère was an anglophone
Rappelle-moi
rappelle-toi
l’anglais de Saint-Henri
Mother childhood
?
L’anglais before the adoptive family
Escaped Liberty Resilience?
Harbour? Along? Wide?
Transience?
Tu t’es sauvée de ta langue et de famille, maman, à ta majorité
Hollow? Childhood ?
Tu n’en as jamais parlé
de cette suspension de cet arrêt
Pearl?
Qu’est-ce qui s’est arrêté, maman?
La beauté? Ton cœur? Tes yeux?
Maintenant je porte ton trauma dans mon écriture
car j’écris avec mon corps
Face?
Car j’écris avec mes veines
Where do you start and where do I stop?
Our bodies
where are our bodies, our memories, our tongues?
What do we speak quand on se parle?
Thighs hair lullaby?
Qu’est-ce qu’on se dit?
J’aimerais rencontrer ta langue
que sur tes lèvres, elle cesse de déborder
comme un amusement
comme un trait insolite
comme un fait sans importance
J’aimerais que la langue anglaise soit une filiation maternelle
qu’elle cesse d’être un drame et devienne pleine
Tide?
Because
because I’m shattered inside
I want justice
Une langue suspendue, maman, c’est un ciel tétanisé
une nausée de bleu
un cœur épépiné
Maman, rallume ta langue
Gleam
?
Je tiendrai ta main pendant les vertiges
j’attendrai que tes yeux se rééduquent à la lumière
je porte ton enfance like a burden
like a shame like a terrible anger
Your English is scared and mad
or is it me?
Nooks ?
Let it feel it
and be
Je t’aimerai même violentée et pleine d’effrois
grant this English this little girl their
Humanity?
Maman, parle-moi ta langue
je n’ai pas peur
on saura la raconter
Sheltered Organic Shore?
Tire sur le fil d’Ariane, maman
il y aura de la lumière dans une coudée ou deux
ne regarde pas sur les côtés
no, don’t, il ne faut pas
Ou attends-moi
ensemble nous chasserons les monstres
et regarderons vers le ciel
Sheets Warm Leaves ?
C’est ainsi qu’on crée les légendes
lève la tête vers le ciel
ton anglais est une étoile polaire
une caresse brûlante du soleil une langue aurore
Chercheuse indépendante en littérature et spécialiste des écritures des femmes, Mariève Maréchale a obtenu un doctorat en Lettres françaises de l’Université d’Ottawa pour sa thèse «Conjurer l’absence: pratiques du tiers espace dans les littératures lesbiennes francophones». Elle s’intéresse aux littératures LGBTQ2A+ canadiennes et de la francophonie, à la précarité, à l’enfance, au genre ainsi qu’aux théories et aux pratiques du tiers espace dans une optique postcoloniale, décoloniale, féministe et queer. Parallèlement à ses recherches, elle mène une carrière d’écrivaine. Elle explore, dans sa fiction et ses poèmes, les relations entre recherche et création, les assignations et identités de genre et les jeux de pouvoir, et interroge la masculinité toxique. Ses poèmes ont été publiés dans plusieurs revues québécoises et dans le recueil La Chambre organique aux Éditions Tryptiques. Elle vient de faire publier son premier roman chez Triptyque, La Minotaure. Ce livre inaugure la collection queer de cette maison d’édition montréalaise.