Juin 2023

Introduction: Réécrire les sciences naturelles

par

Jonathan Hope et Alexandre Côté-Perras

article
réécrire les sciences naturelles

Un principe de base en théorie de la communication veut qu’une information puisse être diffusée de diverses manières, et que l’une ou l’autre de ces manières affecte différemment la réception. Par exemple, si je demande poliment à quelqu’un de faire quelque chose, ou si je lui ordonne de faire cette chose, les relations entre les interlocuteurs, les interlocutrices et le monde ne seront évidemment pas les mêmes. De cette idée, somme toute évidente, est venue une question: que se passe-t-il lorsque le contenu d’un article scientifique est resémiotisé sous une autre forme?

Les huit textes de création recueillis dans ce numéro thématique sont des tentatives de réponses pratiques à cette question. En complément aux travaux de l’équipe Réécrire la forêt boréale, un groupe de recherche s’est réuni à l’UQAM à l’hiver 2022 afin d’explorer des enjeux relatifs aux lettres et aux humanités environnementales. Un des exercices proposés lors de cette exploration consistait à identifier un article scientifique faisant état de recherches récentes qui touchent à des questions environnementales, du Québec et d’ailleurs, et de le réécrire en développant ses potentialités littéraires latentes. À la suite d’une journée d’étude au printemps, des membres du groupe ont souhaité poursuivre l’activité avec un travail d’écriture plus élaboré et cette publication. 

Marion Perrin restitue la dimension humaine du travail de terrain: sa narratrice, une jeune chercheuse «écoanxieuse», est traversée par un éventail d’émotions en étudiant l’érosion des berges d’une rivière dans le Bas-Saint-Laurent. Manon Huberland s’inspire d’une méthodologie ingénierique servant à localiser d’anciens cours d’eau pour enquêter sur les ruisseaux et les rivières disparues de Montréal; son texte dégage les potentialités poétiques du feuilletage de faits historiques. Flore Fauve, par le biais d’une suite de chants lyriques, fait valoir les services écosystémiques des plantes «indésirables» qui peuplent les terrains vagues de la ville. Aurélie Obeuf nous livre les réminiscences fictives d’une scientifique ayant participé au développement d’un insecticide sophistiqué; elle met en lumière les questionnements éthiques occultés dans la publication des résultats de recherche. Maxime Fecteau part de son expérience avec les effets médicinaux d’une plante «envahissante» pour réfléchir aux échanges entre la pharmacologie occidentale et les pratiques médicinales ancestrales cries. Victoria Klein déploie une narration flottante pour témoigner de l’attachement intergénérationnel des Premières Nations à leurs territoires ainsi que de la justesse de leurs observations sur les répercussions des changements climatiques. Fanny Brossard-Charbonneau module sa prose en fonction du mouvement spatio-temporel d’un glacier; elle oppose le rythme de l’humanité à celui du glacier, dont les compagnies minières retracent avidement les gisements. Enfin, Alix Borgomano explore les régions subarctiques du Québec et sonde la création de lacs attribuable à la fonte du pergélisol, conjuguant les médiations poétiques et scientifiques de ces territoires dans une volonté de s’approcher au plus près de la matière. 

Ces textes de création participent à une nature writing au diapason avec des recherches scientifiques vouées à des réalités environnementales concrètes et actuelles. Ils peuvent contribuer à une vulgarisation des recherches scientifiques, effectuant, à leur manière, des transferts entre les sciences, les arts et la société. En outre, ils s’inscrivent dans une sorte de littérature de terrain par laquelle des littéraires s’inspirent de documents qui ne sont pas typiquement mobilisés par leur communauté. Enfin, en mettant de l’avant des pertinences littéraires (stylistiques, formelles, linguistiques, génériques, thématiques, etc.) dans la reformulation d’articles scientifiques, nous espérons que ces textes révèlent des affects sous-jacents de l’écriture scientifique et exposent la vitalité de la littérature.

Jonathan Hope et Alexandre Côté-Perras

Jonathan Hope est professeur au département d’études littéraires de l’Université du Québec à Montréal, spécialiste en humanités environnementales et en sémiotique.

Alexandre Côté-Perras poursuit un doctorat de recherche-création en études littéraires à l’Université du Québec à Montréal. Après s’être penché, dans le cadre de sa maîtrise, sur la tension entre peur et enchantement dans un contexte de crise écologique, il explore maintenant les potentialités d’une écriture et d’un imaginaire environnementaux informés par des recherches en sciences naturelles.

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